Allemagne

[DE] Le LG de Munich I épingle TikTok pour défaut de négociation sérieuse d’une licence

IRIS 2024-4:1/14

Sven Braun

Institut du droit européen des médias

Dans un jugement du 9 février 2024, le Landgericht (tribunal régional - LG) de Munich I établit que la plateforme numérique TikTok n’a pas dûment respecté son obligation légale de négocier des licences de droit d’auteur. Par conséquent, la plateforme peut être tenue responsable de la mise en ligne illicite de films protégés par le droit d’auteur sur sa plateforme par certains utilisateurs.

Des utilisateurs ont mis en ligne sur la plateforme TikTok des contenus protégés par le droit d’auteur sans disposer des droits d’exploitation requis à cet effet. Les droits des films concernés par cette affaire sont gérés par la société Nikita Ventures. Nikita Ventures a signalé à TikTok les publications illicites en proposant de lui concéder une licence payante pour ces contenus. En réponse, TikTok a bloqué les contenus signalés mais laissé, dans un premier temps, les contenus protégés accessibles aux utilisateurs. Les deux parties ont ensuite entamé des négociations en janvier 2022 pour convenir d’une licence. TikTok a tout d’abord demandé un certain nombre d’informations pour clarification, que Nikita Ventures lui a transmises sans délai. Selon le tribunal, les négociations ont ensuite été menées unilatéralement par Nikita Ventures, notamment parce que TikTok n’a pas mentionné de prix. Les deux parties ne sont pas parvenues à un accord avant juillet 2022.

Par conséquent, Nikita Ventures a engagé contre TikTok une action en cessation, en renseignements et en dommages-intérêts pour la mise à disposition du public des productions cinématographiques en cause. TikTok a invoqué une exonération de responsabilité en vertu de l’article 1, paragraphe 2, phrase 1 de l’Urheberrechts-Diensteanbieter-Gesetz (loi allemande relative aux fournisseurs de services soumis au droit d’auteur - UrhDaG). L’UrhDaG vise essentiellement à transposer l’article 17 de la Directive de l’UE sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (2019/790/UE). Cette disposition prévoit une limitation de responsabilité des opérateurs de plateformes au regard du droit d’auteur en cas de communication au public dès lors qu’ils bloquent toute utilisation illicite et concluent des accords de licence avec les titulaires de droits. Le LG de Munich I a néanmoins jugé que TikTok ne pouvait pas se prévaloir d’une exonération de responsabilité en vertu de l’article 1, paragraphe 2, phrase 1 de l’UrhDaG, car la plateforme n’avait pas respecté son obligation de conclure un accord de licence en vertu de l’article 4, paragraphe 1, phrase 1 et phrase 2, point 1 de l’UrhDaG. Aux termes de cette disposition, un fournisseur de services est tenu de « tout mettre en œuvre » pour « conclure un contrat de licence d’exploitation des œuvres protégées par le droit d’auteur aux fins d’une communication au public », et de bloquer sans délai les contenus qui lui sont signalés.

Or, le tribunal considère que TikTok n’a pas mis « tout en œuvre » au sens de l’article 4, paragraphe 1, phrase 1 de l’UrhDaG pour acquérir les droits d’exploitation proposés par Nikita Ventures. En principe, les négociations doivent être menées de manière équitable et rapide, conformément aux lignes directrices relatives à l’article 17 de la Directive 2019/790/UE et à l’article 36 de la Verwertungsgesellschaftengesetz (loi sur les sociétés de gestion collective - VGG), qui transpose la Directive 2014/26/UE. En vertu de l’article 16 de la Directive 2019/790/UE et de l’article 36 de la VGG, les deux parties doivent également échanger les informations nécessaires, répondre immédiatement aux demandes de l’autre partie, et lui communiquer les informations requises pour établir une proposition de contrat. Les titulaires de droits doivent expliquer de manière claire et compréhensible quelles sont les œuvres et les prestations qui relèvent de leur répertoire. En contrepartie, les fournisseurs de services doivent fournir des informations sur les critères qu’ils utilisent pour identifier et rémunérer les contenus utilisés. En l’espèce, TikTok n’a pas fait preuve, au regard de son comportement et du flux d’informations unilatéral fourni par l’ayant droit, d’une volonté de parvenir rapidement à l’aboutissement des négociations en conformité avec les intérêts des deux parties.

Peu importe, selon le tribunal, que TikTok ait enfreint ou non l’obligation de bloquer les contenus, qui concourt également à l’exonération de responsabilité visée aux articles 4 et 7 à 11 de l’UrhDaG. Pour se prévaloir d’une exonération de responsabilité, toutes les conditions doivent être remplies de manière cumulative. Or, le tribunal considère que tel n’est pas en l’espèce. De surcroît, la participation de l’ayant droit à la valeur ajoutée, visée par la loi, serait vide de sens si l’opérateur de plateforme pouvait choisir entre l’acquisition d’une licence et le blocage des contenus avec la possibilité, en cas de violation de l’obligation d’obtention d’une licence, de se replier sur les mesures de blocage qualifié (article 7 UrhDaG) et de blocage simple (article 8 UrhDaG) mises en place par ses soins.

Le tribunal a donc fait droit à la requête en cessation, en renseignements et en dommages-intérêts à l’encontre de TikTok. Le montant des dommages-intérêts reste à déterminer. À cette fin, la plateforme doit fournir des informations sur l’utilisation des extraits de films concernés.

Ce jugement n’est pas définitif.


Références

  • Landgericht München I, Urteil vom 09.02.2024, Aktenzeichen 42 O 10792/22
  • https://openjur.de/u/2481878.html
  • Landgericht (tribunal régional - LG) de Munich I, jugement du 9 février 2024, affaire 42 O 10792/22

Cet article a été publié dans IRIS Observations juridiques de l'Observatoire européen de l'audiovisuel.